Rose et Camélia au bal du Cerisier.
Publié : lun. 10 nov. 2008, 23:09
Avec un sifflement feutré la petite lame alla chatouiller le plafond de sa pointe argenté avant de retomber dans la main gantée de cuir de l'adolescente.
Le dos contre son lit, Primura était affalée entre deux coussins, une main soutenant son menton, l'autre lançant à intervalles réguliers le senkai ouvragé que lui avait offert Kibo vers le plafond. Depuis que Soi Fon était partie, Primura avait fait le tour de la ville et visité les restaurants que lui avait conseillé son père et les gérants de l'hotel. Toutefois elle commençait à s'ennuyer ferme. Les quelques jours avec la chunin avaient été tellement géniaux que les merveilles de la ville lui semblaient fade à présent. Il lui restait encore une paire de jours à tuer avant de reprendre le bateau.
Pour tromper son désoeuvrement elle avait demandé à la gérante si elle voulait bien lui donner des cours d'ikebana. La vieille femme flattée lui avait donc proposé de venir après le repas de midi, le temps pour elle d'aller chercher des fleurs fraîches au marché. Primura avait voulu sauter sur l'occasion pour rendre service et se dégourdir les jambes mais la gérante avait presque bondi au plafond en disant qu'une cliente n'avait pas à y aller, il en allait de la réputation de l'hôtel.
La genin avait accepté avec un sourire d'excuse et était allé attendre dans sa chambre qui bien que grande lui semblait déjà trop exigu. Yuki, la toundra, ses forêts glacées, ses pics enneigées lui manquaient tout doucement. Avec un soupir amusé elle jeta un coup d'oeil à son snowboard sagement posé contre un mur. Le pauvre avait l'air d'un objet remisé au placard ainsi.
Elle rattrapa son senkai au vol et roula sur le côté avant de se relever pour rejoindre sa planche. Tant qu'à faire autant ranger un peu tout ce qu'il y avait dedans. Ne serait ce que pour s'occuper les mains et l'esprit.
Passant la main sur les symboles stylisés gravés et peints à sa surface Primura sortit ainsi des vêtements qu'elle replia proprement, des livres de la bibliothèque qu'elle allait rendre en retard... ceux-ci elle les posa à son chevet en rougissant à l'idée des remontrances qu'allait lui faire la bibliothécaire. Elle nettoya et affûta les shurikens, kunais et makibishis stockés dans un symbole à
déclenchement rapide. Lorsque la gérante entra ce fut pour découvrir une adolescente à genoux devant une dizaine d'armes à l'aspect tranchant, piquant ou en résumé dangereuses,
nettoyant méticuleusement ce qui ressemblait à un oursin en métal. Délaissant son ouvrage, la jeune fille releva la tête avec un grand sourire pour accueillir son professeur du jour.
« Entrez, entrez, j'ai préparé le balcon ! » déclara t-elle en allant s'installer sur un coussin posé devant un drap blanc. La lumière et la température se prêtaient très bien à l'exercice et la gérante marqua un temps d'arrêt devant cet être paradoxal, aussi bien capable de nettoyer des armes que de choisir un endroit propre à la pratique de l'ikebana.
Un doux sourire éclaira le visage de la vieille gérante, la lettre du président directeur général Tchinonamida prévenait d'une certaine excentricité mais elle ne s'était pas attendu à ce genre là. Mais bon elle avait connu pire, notamment une blonde décérébrée qui promenait constamment son chihuahua avec elle...
La vieille femme s'installa gracieusement devant l'adolescente, disposant devant elle deux vases et un peu plus d'une vingtaine de fleurs sur le grand linge blanc. Ayant eu vent de l'éducation de son élève, le professeur passa tout de suite à la démonstration avec calme. La leçon était silencieuse mais les gestes parlaient d'eux mêmes. Regards, hochements de têtes, mains qui présentent, montrent, démontrent composaient l'essentiel du langage qu'elles utilisaient. Absorbées dans leur tâche elle n'avaient plus conscience du mur extérieur. Pour un profane cet art semblait flou et incompréhensible, ne sachant pourquoi cette feuille était en trop, cette branche pas assez, cette fleur pas encore... Or pour Primura ces imperfections que lui montraient la gérante au fil de la confection ressortaient aussi sûrement qu'une pustule sur le front de Wei-Chi. Son bouquet était une lettre, les fleurs ses phrases, leurs pétales ses mots. Si elle avait commencé avec un trio de roses rouges qui dénotaient d'un désir ardent, de volupté, elle termina sur une camélia tout à fait normale mais qui s'imposait dans le bouquet comme le centre même du message. Le visage de Tenki surgit dans son esprit et la chaleur de cette image sembla caresser chaque pétale de la fleur centrale.
* Je t'aimerai toujours. *
« J'envie la personne à qui est destiné ce bouquet... » fit doucement la gérante pour clore la leçon. Elle sortit après s'être inclinée, songeuse. Si jeune... Primura resta là à contempler son oeuvre, du regard de l'artiste qui a enfin fini une toile exprimant ses sentiments de l'instant. Le calme après l'ardeur du travail bien fait, la satisfaction de la tâche accomplie. Le pépiement d'un rossignol la sortit de sa rêverie et elle retourna dans sa chambre. Grimaçant devant le désordre dans lequel elle avait laissé ses armes, elle se fit un devoir de terminer le nettoyage et le rangement avant de sortir pour faire une promenade. Alors qu'elle finissait de ranger une paire de livres de cours elle découvrit un parchemin soigneusement conservé dans un petit sac de feutre.
* Ce serait... *
Son plus gros investissement du moment en terme d'argent dans l'art ninja. Le rouleau était d'un beau violet et fermé d'une fine cordelette noire. Elle avait longtemps pesé le pour et le contre à propos de cette technique avant de se décider à l'acheter. Ses doigts fins déplièrent ce qui représenterait certainement à l'avenir sa botte secrète. L'atout dans la manche. Le flocon de neige qui ferait pencher la balance en sa faveur dans un éventuel affrontement. Elle avait toujours repoussé son apprentissage à plus tard, estimant qu'elle n'était pas encore assez expérimenté dans l'art de l'escrime pour s'y atteler.
La Danse des Camélias. Primura sourit et son regard rose bonbon glissa jusqu'au bouquet demeuré sur le balcon.
* L'entraînement avec Soi Fon... et maintenant ce bouquet... serait ce des signes ? * pensa t-elle amusée en détaillant rapidement les explications et les schémas du rouleau.
Un sifflement songeur lui échappa lorsqu'elle mesura la complexité de l'exercice, suivi presque immédiatement par un sourire ravi.
* Moi qui commençait à m'ennuyer... j'ai trouvé comment utiliser intelligemment les jours qu'il me reste avant l'embarquement et le retour à Yuki. *
Elle avait retrouvé son entrain habituel et c'est avec une excitation renouvelée qu'elle termina de ranger tout son bazar avant de dévaler à toute vitesse les escaliers. Sautant dans ses bottes, elle clama un au revoir déjà lointain alors même qu'elle sortait en quelques enjambées. La chaude lumière ambiante et l’air frais termina de dissiper les brumes d’ennui qui encombraient son esprit. Elle ne savait pas où elle voulait aller, mais elle savait qu’elle voulait aller quelque part. Ses pieds l'entraînèrent à travers les rues tortueuses et animées de la ville qui débordait d’activité et de bonne
humeur. Ce joyeux capharnaüm tira pourtant une grimace à l’adolescente qui cherchait plutôt un endroit ouvert et calme. Concluant qu’elle ne le trouverait pas dans les environs elle se dirigea vers le sortie de la ville et retourna voir l’écurie où elle avait laissé son cheval à son arrivée. Là, elle loua un alezan en manque de promenade et partit au galop sur la route, les cheveux au vent et le rire aux lèvres. Après quelques minutes de course folle pour voir se que son compagnon d’une journée avait dans les pattes elle décida de quitter la route pour s’enfoncer un peu dans les plaines herbeuses qui s’offraient aux sabots de sa monture. Il y avait peu d’arbre dans les environs, souhaitant trouver un coin à l’ombre pour s'entraîner Primura se dirigea vers une forme imposante à la périphérie de son champ de vision. Sa monture rechigna un peu à laisser son coin d’herbe entamé mais la voix douce et autoritaire de la jeune fille finit par le faire fléchir et c’est au petit galop qu’il entama sa course.
Toute à sa contemplation rêveuse du paysage, la genin ne comprit pas d’abord pourquoi elle mettait tant de temps à arriver devant cet arbre… puis un examen approfondi lui révéla qu’ils s’en approchaient effectivement mais que l’arbre en question était tellement grand qu’elle croyait qu’il était proche.
Lorsqu’elle arriva au pied du titanesque végétal ses yeux étaient écarquillés et elle ne
crut à l’image qu’elle avait sous les yeux qu’une fois qu’elle en eut touché le tronc. C’était un énorme cerisier fleuri donc la première branche culminait à une dizaine de mètres au dessus d’elle. Tout autour un épais tapis de pétales recouvrait l’herbe riche qui parsemait les alentours. L’alezan se mit à brouter tranquillement de son côté alors que la jeune fille faisait le tour de l’arbre
tout à sa curiosité. Elle se sentait vraiment minuscule à côté de lui. Un sourire étira ses lèvres. Elle savait à qui elle voulait faire partager cette vision hors du temps et du commun. Sa main s’empara du senkai passé à sa ceinture et l’acier mordit presque gentiment dans la chaire de son pouce alors
qu’elle appelait son familier à elle.
* Je t’appelle Hatsuyuki, prince des farceurs, rejoins moi j’ai quelque chose à te montrer. *
Sa paume se posa sur les pétales et dans un pouf sonore le petit cheval apparut frétillant des pieds à la tête. Son tout jeune frère Mi était debout sur son dos, s’accrochant à sa crinière avec ses petites dents et à voir la façon dont il agitait sa crinière et ses oreilles il semblait tout content de revoir
l’adolescente.
« Coucou vous deux ! Contente de vous re…»
Hatsuyuki lui sauta dessus derechef et frotta sa grosse tête équine contre la joue de l’adolescente qui pouffait ravie. Mi en profita pour se fourrer dans le cou de la jeune fille et suçoter sagement une mèche de cheveux.
« Tu as vu cet arbre ? Impressionnant non ? » demanda t-elle histoire que son ami laisse sa joue se reposer un peu.
« Toi devoir appeler moi plus souvent ! Moi m’ennuyer beaucoup quand toi pas là ! En plus toi promettre jouer cache cache avec moi ! Quand ? »
« Bientôt promis, j’ai été un peu occupé ces derniers temps et je n’avais pas le
loisir de t’appeler… » s’expliqua t-elle penaude. Le fait qu’une invocation passait difficilement inaperçu et Hatsuyuki encore moins l’avait incité à limiter ses appels ces derniers jours.
Le petit cheval sembla accepter ce fait et alla observer le végétal d’un peu plus près avant de revenir alors que Primura dépliait le parchemin. Couchée sur le dos, ses cheveux formant comme un édredon immaculé sur un draps de pétales de cerisier, elle détaillait les explications les unes après les autres. Cela semblait convenir à Mi qui avait apparemment l’intention de faire une petite
sieste là où il était. Le mufle de son invocation vint soudain s’interposer entre le parchemin et ses
yeux, ceux-ci clignant d’ailleurs de surprise devant ce volumineux appendice qui
n’avait normalement pas à être là.
« C’est un roc, c’est un pic, c’est un cap que dis je… c’est une péninsule !* »
murmura t-elle moqueusement.
« Ta bestiole est pas drôle… elle réagit pas quand je l'embête »
Primura ouvrit de grands yeux surpris. Sa bestiole ? Elle prit Mi dans ses bras avant de se redresser et repéra l’alezan qui broutait toujours paisiblement dans son coin.
« Les artistes sont souvent incompris » expliqua t-elle avec un amusement devant la mine dépitée de son ami.
« On joue à quoi aujourd’hui ? »
« A la Danse des Camélias. » répondit elle mystérieusement en déposant Mi sur le parterre de pétales près de son snowboard pour savoir où le retrouver.
« Tu vas devoir taper sur une branche avec un objet pour la secouer et en faire tomber les pétales. Moi de mon côté je devrai tenter d’en couper le plus possible. Tu devras compter le nombre de pétales que je parviens à toucher. Le jeu évoluera au fil de notre progression. »
Galvanisé par l’annonce de ce défi, Hatsuyuki réclama le fourreau de Miroku que Primura détacha de son baudrier d’arme avant de le tendre à son compagnon, s’attendant à le voir le prendre entre ses dents. Au lieu de quoi le dit fourreau lévita à côté de Hatsuyuki qui alla se placer sous l’arbre, cherchant des yeux une branche bien fournie en pétales. De son côté l’adolescente détendit ses muscles et alla jusqu’à rabattre le haut de sa robe de cuir, laissant ainsi apparaitre sa sous robe de soie légère. Cette technique allait devoir lui demander des mouvements rapides et violents, autant
mettre toutes les chances de son côté. La position de garde à deux mains lui vint tout naturellement et elle se retrouva de trois quart face au cerisier. Elle fit tourner sa lame entre ses mains pour détendre ses poignets et visualisa mentalement les différentes combinaisons de coups. Combinant attaques de tailles et d’estoc, cette attaque visait vraisemblablement à déclencher un déluge de coups sur l’adversaire si rapides qu’il lui était presque impossible d’en discerner les tenants et les aboutissants. Un programme alléchant mais complexe. Pour parvenir à une telle performance son corps entier allait devoir suivre une série de mouvements chorégraphiés pour maximiser l’illusion d’optique, la puissance des coups et leur vitesse. L’un des principal problème que le parchemin s’attachait à détailler était ce problème d’aller-retour de lame. Une arme quelle que soit son poids avait besoin d’un certains « temps » pour repartir dans une autre direction afin de porter un nouveau coup. Cela dépendait de la lame, de la force de l’escrimeur et de sa technique. On le voyait bien entre un manieur de dague et un autre d’hiroi ken. L’utilisateur de dague allait donner plus de coups dans le même laps de temps qu’un manipulateur d’hiroi ken qui lui n’en mettrait qu’un.
* Excepté avec Soi Fon peut être… *
Le créateur de la Danse des Camélias expliquait ainsi que frapper fort et vite pouvait être donné à tout le monde après un certain entrainement, mais que frapper bien et si vite qu’un adversaire normal ne puisse suivre le mouvement de la lame requérait un savoir faire particulier. Pour cela l’escrimeur devait répétait une série de coups ou katas comme des gammes ou des combinaisons, pour ensuite les lier entre elles selon les circonstances. Le choix de la fleur a été fait en fonction du nombre et de la forme des pétales de Camélia. Serrées entre elles, adoptant ainsi une forme presque hypnotique, légèrement en pointe, elles forment ainsi un écrin adaptable au corps de chaque adversaire, lui interdisant toute esquive ou parade.
Primura commença par suivre chaque combinaison posément, détaillant les poses et les différents enchainements. Il y en avait tant qu’elle estima ne pas se tromper en pensant que chaque danse était unique. Les coups partaient souvent d’un léger mouvement circulaire pour finir en ligne droite, diagonale ou pointe. Une note en bas du parchemin attira l’attention de l’adolescente. L’utilisation de la force centrifuge pour maximiser la vitesse et le changement de direction pouvait être une idée à essayer mais il était conseillé de ne pas l’appliquer qu’à la lame. La rotation du corps et des
différents membres aux moments opportuns étaient un plus à ne pas négliger. La mention « pour utilisateurs confirmés » décrocha une grimace à la genin. Peut être pour plus tard la force centrifuge.
Inspirant un bon coup elle répéta lentement un enchainement qui lui plaisait bien. La pointe décrivit un léger arc de cercle de côté avant de soudain partir vers l’intérieur en un coup tranchant, pivotant légèrement son poignet vers le bas en supination, la lame partit vers une cuisse imaginaire pour y ouvrir une entaille avant que Primura n’arme son bras pour toucher en pointe à l’épaule d’une pique ajustée en aller retour. Sur le retour elle pivota sur ses appuis pour trancher de haut en bas, embrayant cette fois sur une série de deux coups en aller retour. La genin se rendit compte que si l’aller pouvait être fait à une main pour plus de confort, le retour nécessitait non seulement qu’elle tourne son poignet en pronation mais qu’en plus elle y aille à deux mains pour ne pas que la pointe aille chatouiller les vers de terre. Pour finir, alors que la lame venait d’ouvrir une sillon dans un retour sanglant sur le torse de la silhouette imaginaire, Primura ramena à nouveau son bras en garde pour effectuer trois attaques en pointe au niveau du torse de gauche à droite.
Son statut de gauchère étant plus à l’aise avec cet ordre plutôt que l’autre. La jeune fille s’arrêta en position de fente et eut un sourire incertain en rougissant. Elle avait effectué ces mouvements tellement lentement que le créateur devait se retourner dans sa tombe. Sur le coup elle se compara à un enfant en bas âge tentant d’imiter maladroitement un danseur professionnel. L’image la fit sourire alors qu’elle relâchait sa position.
* Après tout c’est par là que tout commence… l’envie d’imiter… *
Hatsuyuki commençait à s’impatienter à entendre les hennissements bouillonnant qu’il poussait à intervalles réguliers depuis quelques instants.
« Chut tu vas réveiller ton frère ! » le sermonna Primura de manière faussement sévère.
« Prête petite rose ? »
« Prête petit flocon ! »
Le fourreau de métal vola jusqu’à la branche et la heurta avec un bruit sourd, le choc se transmit le long du bois, atteignant les fleurs puis les pétales qui n’en attendaient pas moins pour aller rejoindre leurs sœurs au sol. Celle-ci s’élancèrent au devant de la genin et de son invocation qui prit garde à rester à distance de sa maîtresse. Il ne résista pas à l’envie de sauter dans les
pétales tourbillonnantes. Attentive aux mouvements tourbillonnant des pétales, Primura fixa son regard rose bonbon sur ses cibles. Une image surgit au moment elle fit un appel du pied. Un bouquet frais, posé sur son balcon avec en son centre une Camélia. Son bras partit à toute vitesse en un léger arc de cercle de côté avant de revenir trancher de gauche à droite.
Rose, Camélia, Cerisier
Ensemble liées
Ballet
Le dos contre son lit, Primura était affalée entre deux coussins, une main soutenant son menton, l'autre lançant à intervalles réguliers le senkai ouvragé que lui avait offert Kibo vers le plafond. Depuis que Soi Fon était partie, Primura avait fait le tour de la ville et visité les restaurants que lui avait conseillé son père et les gérants de l'hotel. Toutefois elle commençait à s'ennuyer ferme. Les quelques jours avec la chunin avaient été tellement géniaux que les merveilles de la ville lui semblaient fade à présent. Il lui restait encore une paire de jours à tuer avant de reprendre le bateau.
Pour tromper son désoeuvrement elle avait demandé à la gérante si elle voulait bien lui donner des cours d'ikebana. La vieille femme flattée lui avait donc proposé de venir après le repas de midi, le temps pour elle d'aller chercher des fleurs fraîches au marché. Primura avait voulu sauter sur l'occasion pour rendre service et se dégourdir les jambes mais la gérante avait presque bondi au plafond en disant qu'une cliente n'avait pas à y aller, il en allait de la réputation de l'hôtel.
La genin avait accepté avec un sourire d'excuse et était allé attendre dans sa chambre qui bien que grande lui semblait déjà trop exigu. Yuki, la toundra, ses forêts glacées, ses pics enneigées lui manquaient tout doucement. Avec un soupir amusé elle jeta un coup d'oeil à son snowboard sagement posé contre un mur. Le pauvre avait l'air d'un objet remisé au placard ainsi.
Elle rattrapa son senkai au vol et roula sur le côté avant de se relever pour rejoindre sa planche. Tant qu'à faire autant ranger un peu tout ce qu'il y avait dedans. Ne serait ce que pour s'occuper les mains et l'esprit.
Passant la main sur les symboles stylisés gravés et peints à sa surface Primura sortit ainsi des vêtements qu'elle replia proprement, des livres de la bibliothèque qu'elle allait rendre en retard... ceux-ci elle les posa à son chevet en rougissant à l'idée des remontrances qu'allait lui faire la bibliothécaire. Elle nettoya et affûta les shurikens, kunais et makibishis stockés dans un symbole à
déclenchement rapide. Lorsque la gérante entra ce fut pour découvrir une adolescente à genoux devant une dizaine d'armes à l'aspect tranchant, piquant ou en résumé dangereuses,
nettoyant méticuleusement ce qui ressemblait à un oursin en métal. Délaissant son ouvrage, la jeune fille releva la tête avec un grand sourire pour accueillir son professeur du jour.
« Entrez, entrez, j'ai préparé le balcon ! » déclara t-elle en allant s'installer sur un coussin posé devant un drap blanc. La lumière et la température se prêtaient très bien à l'exercice et la gérante marqua un temps d'arrêt devant cet être paradoxal, aussi bien capable de nettoyer des armes que de choisir un endroit propre à la pratique de l'ikebana.
Un doux sourire éclaira le visage de la vieille gérante, la lettre du président directeur général Tchinonamida prévenait d'une certaine excentricité mais elle ne s'était pas attendu à ce genre là. Mais bon elle avait connu pire, notamment une blonde décérébrée qui promenait constamment son chihuahua avec elle...
La vieille femme s'installa gracieusement devant l'adolescente, disposant devant elle deux vases et un peu plus d'une vingtaine de fleurs sur le grand linge blanc. Ayant eu vent de l'éducation de son élève, le professeur passa tout de suite à la démonstration avec calme. La leçon était silencieuse mais les gestes parlaient d'eux mêmes. Regards, hochements de têtes, mains qui présentent, montrent, démontrent composaient l'essentiel du langage qu'elles utilisaient. Absorbées dans leur tâche elle n'avaient plus conscience du mur extérieur. Pour un profane cet art semblait flou et incompréhensible, ne sachant pourquoi cette feuille était en trop, cette branche pas assez, cette fleur pas encore... Or pour Primura ces imperfections que lui montraient la gérante au fil de la confection ressortaient aussi sûrement qu'une pustule sur le front de Wei-Chi. Son bouquet était une lettre, les fleurs ses phrases, leurs pétales ses mots. Si elle avait commencé avec un trio de roses rouges qui dénotaient d'un désir ardent, de volupté, elle termina sur une camélia tout à fait normale mais qui s'imposait dans le bouquet comme le centre même du message. Le visage de Tenki surgit dans son esprit et la chaleur de cette image sembla caresser chaque pétale de la fleur centrale.
* Je t'aimerai toujours. *
« J'envie la personne à qui est destiné ce bouquet... » fit doucement la gérante pour clore la leçon. Elle sortit après s'être inclinée, songeuse. Si jeune... Primura resta là à contempler son oeuvre, du regard de l'artiste qui a enfin fini une toile exprimant ses sentiments de l'instant. Le calme après l'ardeur du travail bien fait, la satisfaction de la tâche accomplie. Le pépiement d'un rossignol la sortit de sa rêverie et elle retourna dans sa chambre. Grimaçant devant le désordre dans lequel elle avait laissé ses armes, elle se fit un devoir de terminer le nettoyage et le rangement avant de sortir pour faire une promenade. Alors qu'elle finissait de ranger une paire de livres de cours elle découvrit un parchemin soigneusement conservé dans un petit sac de feutre.
* Ce serait... *
Son plus gros investissement du moment en terme d'argent dans l'art ninja. Le rouleau était d'un beau violet et fermé d'une fine cordelette noire. Elle avait longtemps pesé le pour et le contre à propos de cette technique avant de se décider à l'acheter. Ses doigts fins déplièrent ce qui représenterait certainement à l'avenir sa botte secrète. L'atout dans la manche. Le flocon de neige qui ferait pencher la balance en sa faveur dans un éventuel affrontement. Elle avait toujours repoussé son apprentissage à plus tard, estimant qu'elle n'était pas encore assez expérimenté dans l'art de l'escrime pour s'y atteler.
La Danse des Camélias. Primura sourit et son regard rose bonbon glissa jusqu'au bouquet demeuré sur le balcon.
* L'entraînement avec Soi Fon... et maintenant ce bouquet... serait ce des signes ? * pensa t-elle amusée en détaillant rapidement les explications et les schémas du rouleau.
Un sifflement songeur lui échappa lorsqu'elle mesura la complexité de l'exercice, suivi presque immédiatement par un sourire ravi.
* Moi qui commençait à m'ennuyer... j'ai trouvé comment utiliser intelligemment les jours qu'il me reste avant l'embarquement et le retour à Yuki. *
Elle avait retrouvé son entrain habituel et c'est avec une excitation renouvelée qu'elle termina de ranger tout son bazar avant de dévaler à toute vitesse les escaliers. Sautant dans ses bottes, elle clama un au revoir déjà lointain alors même qu'elle sortait en quelques enjambées. La chaude lumière ambiante et l’air frais termina de dissiper les brumes d’ennui qui encombraient son esprit. Elle ne savait pas où elle voulait aller, mais elle savait qu’elle voulait aller quelque part. Ses pieds l'entraînèrent à travers les rues tortueuses et animées de la ville qui débordait d’activité et de bonne
humeur. Ce joyeux capharnaüm tira pourtant une grimace à l’adolescente qui cherchait plutôt un endroit ouvert et calme. Concluant qu’elle ne le trouverait pas dans les environs elle se dirigea vers le sortie de la ville et retourna voir l’écurie où elle avait laissé son cheval à son arrivée. Là, elle loua un alezan en manque de promenade et partit au galop sur la route, les cheveux au vent et le rire aux lèvres. Après quelques minutes de course folle pour voir se que son compagnon d’une journée avait dans les pattes elle décida de quitter la route pour s’enfoncer un peu dans les plaines herbeuses qui s’offraient aux sabots de sa monture. Il y avait peu d’arbre dans les environs, souhaitant trouver un coin à l’ombre pour s'entraîner Primura se dirigea vers une forme imposante à la périphérie de son champ de vision. Sa monture rechigna un peu à laisser son coin d’herbe entamé mais la voix douce et autoritaire de la jeune fille finit par le faire fléchir et c’est au petit galop qu’il entama sa course.
Toute à sa contemplation rêveuse du paysage, la genin ne comprit pas d’abord pourquoi elle mettait tant de temps à arriver devant cet arbre… puis un examen approfondi lui révéla qu’ils s’en approchaient effectivement mais que l’arbre en question était tellement grand qu’elle croyait qu’il était proche.
Lorsqu’elle arriva au pied du titanesque végétal ses yeux étaient écarquillés et elle ne
crut à l’image qu’elle avait sous les yeux qu’une fois qu’elle en eut touché le tronc. C’était un énorme cerisier fleuri donc la première branche culminait à une dizaine de mètres au dessus d’elle. Tout autour un épais tapis de pétales recouvrait l’herbe riche qui parsemait les alentours. L’alezan se mit à brouter tranquillement de son côté alors que la jeune fille faisait le tour de l’arbre
tout à sa curiosité. Elle se sentait vraiment minuscule à côté de lui. Un sourire étira ses lèvres. Elle savait à qui elle voulait faire partager cette vision hors du temps et du commun. Sa main s’empara du senkai passé à sa ceinture et l’acier mordit presque gentiment dans la chaire de son pouce alors
qu’elle appelait son familier à elle.
* Je t’appelle Hatsuyuki, prince des farceurs, rejoins moi j’ai quelque chose à te montrer. *
Sa paume se posa sur les pétales et dans un pouf sonore le petit cheval apparut frétillant des pieds à la tête. Son tout jeune frère Mi était debout sur son dos, s’accrochant à sa crinière avec ses petites dents et à voir la façon dont il agitait sa crinière et ses oreilles il semblait tout content de revoir
l’adolescente.
« Coucou vous deux ! Contente de vous re…»
Hatsuyuki lui sauta dessus derechef et frotta sa grosse tête équine contre la joue de l’adolescente qui pouffait ravie. Mi en profita pour se fourrer dans le cou de la jeune fille et suçoter sagement une mèche de cheveux.
« Tu as vu cet arbre ? Impressionnant non ? » demanda t-elle histoire que son ami laisse sa joue se reposer un peu.
« Toi devoir appeler moi plus souvent ! Moi m’ennuyer beaucoup quand toi pas là ! En plus toi promettre jouer cache cache avec moi ! Quand ? »
« Bientôt promis, j’ai été un peu occupé ces derniers temps et je n’avais pas le
loisir de t’appeler… » s’expliqua t-elle penaude. Le fait qu’une invocation passait difficilement inaperçu et Hatsuyuki encore moins l’avait incité à limiter ses appels ces derniers jours.
Le petit cheval sembla accepter ce fait et alla observer le végétal d’un peu plus près avant de revenir alors que Primura dépliait le parchemin. Couchée sur le dos, ses cheveux formant comme un édredon immaculé sur un draps de pétales de cerisier, elle détaillait les explications les unes après les autres. Cela semblait convenir à Mi qui avait apparemment l’intention de faire une petite
sieste là où il était. Le mufle de son invocation vint soudain s’interposer entre le parchemin et ses
yeux, ceux-ci clignant d’ailleurs de surprise devant ce volumineux appendice qui
n’avait normalement pas à être là.
« C’est un roc, c’est un pic, c’est un cap que dis je… c’est une péninsule !* »
murmura t-elle moqueusement.
« Ta bestiole est pas drôle… elle réagit pas quand je l'embête »
Primura ouvrit de grands yeux surpris. Sa bestiole ? Elle prit Mi dans ses bras avant de se redresser et repéra l’alezan qui broutait toujours paisiblement dans son coin.
« Les artistes sont souvent incompris » expliqua t-elle avec un amusement devant la mine dépitée de son ami.
« On joue à quoi aujourd’hui ? »
« A la Danse des Camélias. » répondit elle mystérieusement en déposant Mi sur le parterre de pétales près de son snowboard pour savoir où le retrouver.
« Tu vas devoir taper sur une branche avec un objet pour la secouer et en faire tomber les pétales. Moi de mon côté je devrai tenter d’en couper le plus possible. Tu devras compter le nombre de pétales que je parviens à toucher. Le jeu évoluera au fil de notre progression. »
Galvanisé par l’annonce de ce défi, Hatsuyuki réclama le fourreau de Miroku que Primura détacha de son baudrier d’arme avant de le tendre à son compagnon, s’attendant à le voir le prendre entre ses dents. Au lieu de quoi le dit fourreau lévita à côté de Hatsuyuki qui alla se placer sous l’arbre, cherchant des yeux une branche bien fournie en pétales. De son côté l’adolescente détendit ses muscles et alla jusqu’à rabattre le haut de sa robe de cuir, laissant ainsi apparaitre sa sous robe de soie légère. Cette technique allait devoir lui demander des mouvements rapides et violents, autant
mettre toutes les chances de son côté. La position de garde à deux mains lui vint tout naturellement et elle se retrouva de trois quart face au cerisier. Elle fit tourner sa lame entre ses mains pour détendre ses poignets et visualisa mentalement les différentes combinaisons de coups. Combinant attaques de tailles et d’estoc, cette attaque visait vraisemblablement à déclencher un déluge de coups sur l’adversaire si rapides qu’il lui était presque impossible d’en discerner les tenants et les aboutissants. Un programme alléchant mais complexe. Pour parvenir à une telle performance son corps entier allait devoir suivre une série de mouvements chorégraphiés pour maximiser l’illusion d’optique, la puissance des coups et leur vitesse. L’un des principal problème que le parchemin s’attachait à détailler était ce problème d’aller-retour de lame. Une arme quelle que soit son poids avait besoin d’un certains « temps » pour repartir dans une autre direction afin de porter un nouveau coup. Cela dépendait de la lame, de la force de l’escrimeur et de sa technique. On le voyait bien entre un manieur de dague et un autre d’hiroi ken. L’utilisateur de dague allait donner plus de coups dans le même laps de temps qu’un manipulateur d’hiroi ken qui lui n’en mettrait qu’un.
* Excepté avec Soi Fon peut être… *
Le créateur de la Danse des Camélias expliquait ainsi que frapper fort et vite pouvait être donné à tout le monde après un certain entrainement, mais que frapper bien et si vite qu’un adversaire normal ne puisse suivre le mouvement de la lame requérait un savoir faire particulier. Pour cela l’escrimeur devait répétait une série de coups ou katas comme des gammes ou des combinaisons, pour ensuite les lier entre elles selon les circonstances. Le choix de la fleur a été fait en fonction du nombre et de la forme des pétales de Camélia. Serrées entre elles, adoptant ainsi une forme presque hypnotique, légèrement en pointe, elles forment ainsi un écrin adaptable au corps de chaque adversaire, lui interdisant toute esquive ou parade.
Primura commença par suivre chaque combinaison posément, détaillant les poses et les différents enchainements. Il y en avait tant qu’elle estima ne pas se tromper en pensant que chaque danse était unique. Les coups partaient souvent d’un léger mouvement circulaire pour finir en ligne droite, diagonale ou pointe. Une note en bas du parchemin attira l’attention de l’adolescente. L’utilisation de la force centrifuge pour maximiser la vitesse et le changement de direction pouvait être une idée à essayer mais il était conseillé de ne pas l’appliquer qu’à la lame. La rotation du corps et des
différents membres aux moments opportuns étaient un plus à ne pas négliger. La mention « pour utilisateurs confirmés » décrocha une grimace à la genin. Peut être pour plus tard la force centrifuge.
Inspirant un bon coup elle répéta lentement un enchainement qui lui plaisait bien. La pointe décrivit un léger arc de cercle de côté avant de soudain partir vers l’intérieur en un coup tranchant, pivotant légèrement son poignet vers le bas en supination, la lame partit vers une cuisse imaginaire pour y ouvrir une entaille avant que Primura n’arme son bras pour toucher en pointe à l’épaule d’une pique ajustée en aller retour. Sur le retour elle pivota sur ses appuis pour trancher de haut en bas, embrayant cette fois sur une série de deux coups en aller retour. La genin se rendit compte que si l’aller pouvait être fait à une main pour plus de confort, le retour nécessitait non seulement qu’elle tourne son poignet en pronation mais qu’en plus elle y aille à deux mains pour ne pas que la pointe aille chatouiller les vers de terre. Pour finir, alors que la lame venait d’ouvrir une sillon dans un retour sanglant sur le torse de la silhouette imaginaire, Primura ramena à nouveau son bras en garde pour effectuer trois attaques en pointe au niveau du torse de gauche à droite.
Son statut de gauchère étant plus à l’aise avec cet ordre plutôt que l’autre. La jeune fille s’arrêta en position de fente et eut un sourire incertain en rougissant. Elle avait effectué ces mouvements tellement lentement que le créateur devait se retourner dans sa tombe. Sur le coup elle se compara à un enfant en bas âge tentant d’imiter maladroitement un danseur professionnel. L’image la fit sourire alors qu’elle relâchait sa position.
* Après tout c’est par là que tout commence… l’envie d’imiter… *
Hatsuyuki commençait à s’impatienter à entendre les hennissements bouillonnant qu’il poussait à intervalles réguliers depuis quelques instants.
« Chut tu vas réveiller ton frère ! » le sermonna Primura de manière faussement sévère.
« Prête petite rose ? »
« Prête petit flocon ! »
Le fourreau de métal vola jusqu’à la branche et la heurta avec un bruit sourd, le choc se transmit le long du bois, atteignant les fleurs puis les pétales qui n’en attendaient pas moins pour aller rejoindre leurs sœurs au sol. Celle-ci s’élancèrent au devant de la genin et de son invocation qui prit garde à rester à distance de sa maîtresse. Il ne résista pas à l’envie de sauter dans les
pétales tourbillonnantes. Attentive aux mouvements tourbillonnant des pétales, Primura fixa son regard rose bonbon sur ses cibles. Une image surgit au moment elle fit un appel du pied. Un bouquet frais, posé sur son balcon avec en son centre une Camélia. Son bras partit à toute vitesse en un léger arc de cercle de côté avant de revenir trancher de gauche à droite.
Rose, Camélia, Cerisier
Ensemble liées
Ballet